Hélène, formatrice au Certificat en design de bâtiment écologique de Solution ERA, nous partage sa très riche expérience d’autoconstructrice de sa maison autosuffisante. Comme elle le souligne, lorsqu’on fait le choix de l’autonomie globale pour l’ensemble de son projet d’habitat écologique et de vivre en simplicité, on vise à ce que tous les besoins essentiels à la vie (air, nourriture, eau, chauffage, etc.) ne dépendent pas de l’extérieur.
Hélène Dubé et son mari Alain Neveu ont été les premiers à construire une maison autosuffisante de type « Earthship » au Québec. Leur projet, appelé l’Es-Cargo, est conçu à partir de matériaux récupérés et il est équipé de systèmes sanitaires et énergétiques visant l’autosuffisance et la résilience. Ce type d’habitat implique un idéal écologique et un mode de vie axé sur plus de simplicité volontaire.
Un habitat résilient et autonome (offgrid), indépendant de réseaux énergétiques, doit donc pouvoir compter sur des systèmes alternatifs variés afin d’assurer un maximum de résilience pour subvenir aux besoins de base. Ceci s’inscrit également dans une approche en permaculture.
Le système de ventilation d’une maison autosuffisante
L’autonomie énergétique rend difficile l’usage de systèmes mécaniques énergivores, tel le ventilateur récupérateur de chaleur (VRC), aujourd’hui exigé par le code du bâtiment dans toute nouvelle construction. Ayant construit leur « Earthship » avant la mise en vigueur de la loi obligeant l’installation d’un VRC, Hélène et Alain ont pu suivre leur voie dans une approche plus résiliente, en ne dépendant pas de systèmes mécaniques.
En effet, dans l’Es-Cargo, les plantes et la ventilation naturelle créée par l’ouverture et la fermeture des fenêtres servent à assurer une qualité et un échange d’air viable. Comme le souligne Hélène, ce n’est pas tant la respiration des occupants qui génère une mauvaise qualité de l’air dans nos habitats modernes, mais surtout la présence polluante de produits domestiques et d’ameublement constitués d’une grande quantité de composés organiques volatils (COV).
L’utilisation exclusive de produits domestiques non toxiques, une construction en matériaux naturels et perspirants, la présence de plantes et la circulation d’air naturelle générée par la fenestration contribuent à offrir un air sain aux occupants de l’Es-Cargo.
Le système d’autonomie en eau
A. l’approvisionnement en eau
Cet « Earthship » québécois est alimenté en eau par une source acheminée par gravité. Ainsi, dans l’éventualité où les panneaux solaires ou les batteries du système d’autonomie énergétique de l’habitation ne fonctionnent plus, les occupants continuent à être autonomes en eau. Ceci est possible en raison de ce système d’alimentation naturel et non mécanique, en plus d’offrir une consommation d’eau de source délicieusement pure.
B. Le chauffage de l’eau
L’Es-Cargo est équipé d’un système de chauffe-eau à la demande alimenté au propane. Ce type d’appareil permet de ne pas engendrer une consommation énergétique en continu, comme le fait un chauffe-eau standard (qui assure le maintien en permanence d’un réservoir d’eau chaude). Durant la période estivale, les occupants de l’Es-Cargo sont plutôt ravis de prendre un bain dans la rivière se trouvant sur le terrain!
Certains puristes de la vie en autonomie pourraient affirmer que le chauffage de l’eau au propane exige tout de même une certaine dépendance « au monde extérieur ». Mais en soi, cet appareil rend plus autonome que la dépendance à un réseau énergétique classique (gaz naturel ou électricité).
Hélène rappelle qu’un système résilient, par définition, s’inscrit dans une approche de permaculture qui vise à varier les ressources parallèles et alternatives pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier! Ainsi, le foyer de masse Rocket d’Hélène et Alain sert de parfaite alternative au chauffage de l’eau en cas d’indisponibilité du gaz propane ou d’un problème technique avec le chauffe-eau sur demande.
C. La gestion des eaux usées (grises et noires)
L’eau grise (usée) qui provient du bain, de l’évier de la salle de bain ou de la cuisine est directement envoyée aux bacs de plantes se trouvant dans la serre adjacente de l’Es-Cargo, un concept propre aux « Earthships » et aux maisons autosuffisantes. Puisque le savon biodégradable utilisé n’est pas toxique pour les végétaux, ceux-ci en bénéficient en absorbant les nutriments présents dans cette eau usée.
Que fait l’Es-Cargo avec ses eaux noires (constituées de l’eau usée des toilettes)? Hélène et Alain on fait le choix de ne pas utiliser une toilette standard. Ils font usage d’une toilette à compost se trouvant à l’extérieur du bâtiment, ce qui facilite la gestion des déchets organiques, plus que pour une toilette au compost dans l’habitat même.
Hélène précise que contrairement aux idées reçues, une toilette compostable à l’extérieur de la maison autonome n’est pas un désagrément. Ils font usage d’un petit coussin de laine polaire pour éviter le contact frisquet du siège, surtout en période hivernale. La présence de la nature et du chant des oiseaux à proximité rend également l’expérience plus plaisante qu’on ne pourrait le croire!
L’autonomie en nourriture
A. La production de nourriture
L’autonomie complète en nourriture est, selon Hélène, ce qui représente le plus grand défi dans une maison autosuffisante. Ceci n’est pas seulement dû au fait que le couple n’est pas spécialiste en horticulture ou en agronomie. Comme l’avoue la conférencière, cultiver l’ensemble de sa nourriture ainsi qu’entretenir des animaux représente un certain défi à relever.
Aujourd’hui, Hélène et Alain disent avoir atteint un niveau d’autonomie alimentaire suffisant pour survivre en cas de force majeure où aucun ravitaillement extérieur serait disponible. Ils ont appris à identifier plusieurs végétaux comestibles indigènes au cours des quinze dernières années. La forêt offre une diversité de champignons, de petits fruits sauvages et de plantes variées et comestibles qu’il s’agit simplement de bien connaître.
Bien évidemment, s’ils ne devaient dépendre que de cette source d’alimentation combinée à leurs cultures, sans aucun apport extérieur, ils seraient probablement amenés à se nourrir de façon peu diversifiée. Toutefois, pour agrémenter ces ressources, ils ont récemment développé un élevage de poules et poulets pour la viande et les œufs, qui contribue à un apport protéique important et apprécié.
Cette source offre une alternative aux trente noyers que le couple a planté très récemment et qui ne permettront d’offrir les protéines de leurs noix que dans une quinzaine d’années.
B. La conservation de la nourriture
Un des grands défis que représente l’autonomie alimentaire, surtout quand la maison résiliente est également en autonomie énergétique, est la conservation des aliments ; les appareils de réfrigération et de congélation des denrées sont extrêmement énergivores.
L’Es-Cargo n’est donc pas pourvu d’un réfrigérateur, puisque son système d’autonomie énergétique offre un rendement électrique réduit. De plus, en tant qu’appareil électrique (n’oubliez pas que tout ce qui bouge brise!), le réfrigérateur peut toujours être amené à briser. En effet, la résilience du projet de vie exige une alternative non mécanique à la conservation des aliments.
Celle-ci prend la forme d’une glacière naturelle constituée d’un caveau à glace et à légumes. Pour assurer la viabilité d’un tel système, il faut être en mesure de générer au moins deux fois par année une quantité de glace suffisante et pouvant être conservée dans son état solide sur une période d’environ six mois. Avec le temps, le couple a dû perfectionner le système d’approvisionnement en glace.
Peu à peu, ils ont étudié d’autres méthodes de réfrigération puisqu’un grand nombre d’aliments n’ont pas besoin d’être conservés dans un réfrigérateur, comme la plupart des fruits et des légumes. En effet, contrairement aux idées reçues, le réfrigérateur tend même à réduire la durée de vie de plusieurs d’entre eux.
Il se développe tout un marché qui offre des alternatives aux réfrigérateurs traditionnels. Dans une approche de simplicité volontaire axée sur le moins de technologie et de mécanique possible pour plus de résilience, le couple a donc opté pour la voie la plus simple : le caveau à glace et à légumes.
Ainsi, les occupants de l’Es-Cargo ont décidé de fabriquer eux-mêmes leur glace. Lors des plus grands froids hivernaux de janvier et de février, ils remplissent d’eau un grand nombre de bidons de quatre litres, qu’ils placent à l’extérieur à environ moins trente degrés Celsius afin qu’ils forment des blocs de glace. Une fois celle-ci bien formée, les bidons sont entreposés dans le caveau. Des contenants plus petits ne permettraient pas à la glace de se conserver sur une si longue période.
Dans une approche en permaculture, leur caveau sert lui aussi une fonction double : celle d’accueillir la glace, mais également de lieu d’entreposage pour les récoltes (choux, navets, carottes, pommes de terre, pommes, etc.). Ainsi, tout ce qui n’a pas été mis en conserve, séché ou lactofermenté (par exemple le choux), se retrouve dans le caveau pour conservation à la fraîcheur.
Les systèmes de chauffage et de cuisson
A. Le système de chauffage du bâtiment
L’Es-Cargo est principalement chauffé grâce à une conception solaire passive. Toutefois, un chauffage d’appoint n’est pas de trop en hiver pour les longues périodes sans ensoleillement. Lorsque le soleil est au rendez-vous, le rayonnement solaire est assez généreux pour chauffer l’habitat et il arrive même souvent qu’il ne soit pas nécessaire de faire usage du foyer de masse Rocket pour le soir et la nuit. Ceci est le cas lorsqu’il a fait une journée ensoleillée avec une température entre zéro et moins dix degrés Celsius.
Étant donné la quantité importante de masse thermique présente dans la maison autonome, l’accumulation énergétique dans celle-ci durant l’été et l’automne (vingt degrés Celsius dans les murs et le plancher) suffit pour conserver une température confortable dans celui-ci. En revanche, durant les mois d’hiver où le climat tend à être glacial, humide et couvert, le chauffage d’appoint devient un allié essentiel.
Aux origines du projet, Hélène et son conjoint avaient installé un poêle à bois standard qui faisait également usage de cuisinière (approche permaculturelle de double fonction). Toutefois, avec le temps, ils ont décidé d’opter pour foyer de masse Rocket qui non seulement permet de servir ces deux fonctions, mais également d’être nettement plus efficace sur le plan énergétique.
Par exemple, le matin au levé, le baril, tout comme le banc du foyer, sont encore chauds pour un cycle de chauffage beaucoup plus facile à gérer. Cela évite de devoir se lever la nuit afin d’alimenter un poêle à bois (même à combustion lente).
B. Le système de cuisson des aliments
Le foyer de masse Rocket est constitué, entre autres, d’un baril dont la face plane supérieure sert de surface de cuisson. Le foyer d’Hélène est toutefois un peu hors-norme puisqu’il intègre également un four à pain standard dont la cheminée est reliée à la cheminée principale.
Cette configuration de cheminée est illégale, puisqu’il n’est pas autorisé d’avoir deux appareils branchés sur la même cheminée. De plus, le foyer de masse Rocket n’est pas constitué de matériaux standards pour un poêle, ce qui veut dire que le système ne peut être placé sous assurance.
Toutefois, les inspecteurs d’incendie qui ont examiné le foyer de masse Rocket de l’Es-Cargo n’ont rien eu à redire, puisqu’il respectait les normes de sécurité pour ce qui est de la distance aux matières inflammables. De plus, la maison autonome en énergie est constituée de murs en terre crue qui sont ignifuges (non inflammables), contrairement aux murs en bois.
Système d’éclairage
L’Es-Cargo est éclairé grâce à des ampoules DEL. Tout le système électrique de l’habitat fonctionne sur un système douze Volts afin d’éviter le bruit des onduleurs et des appareils en fonction, offrant ainsi un climat de vie très silencieux amplifié par l’absence de réfrigérateur. Dans une approche résiliente et permaculturelle, les chandelles en cire d’abeille permettent d’offrir une alternative viable et naturelle (non toxique) en cas de panne du système.
Si le design vous passionne et que vous désirez en apprendre davantage sur des stratégies judicieuses pour investir à long terme dans des matériaux, des techniques et des systèmes efficaces, futés, performants et respectueux de l’environnement, suivez le lien au Certificat en design de bâtiment écologique!
Et pourquoi ne pas utiliser les panneaux solaires?
Bien sûr, les panneaux solaires font partie des solutions que l’on préconise. Le solaire passif et le solaire photovoltaïque marchent main dans la main!
Bonjour,
Je me pose beaucoup de questions concernant le coût des maisons autosuffisantes. Tout en sachant que chaque projet est différent et qu’il faut des années avant d’arriver à une certaine autonomie, êtes-vous en mesure d’estimer le coût d’une telle construction ?
Merci pour ces inspirations !
Gabrielle
Bonjour Gabrielle! Ah! La question du budget! Le problème avec le coût, c’est qu’il dépend de tellements de facteurs. L’emplacement du terrain, sa grandeur, le degré d’autoconstruction ou d’autogestion, la dimension du bâtiment, les matériaux et j’en passe. C’est donc dire que les coûts peuvent varier de 20 000$ pour une mini-maison en autoconstruction ne nécéssitant pas de terrain aux plus folles dépenses de plusieurs centaines de milliers de dollars, voire plus. Si cela vous habite vraiment, vous pouvez jeter un œil à la formation « PLANIFICATION, CONSTRUCTION ET RÉGLEMENTATION », un module du Certificat en Design de Bâtiment Écologique. Vous pourrez ainsi préciser votre projet et planifier un budget en conséquence!