Au Québec, peut-on construire ou rénover une maison autonome pour qu’elle devienne 100 % autosuffisante en énergie et en nourriture? Nous avons réuni 4 experts autour d’une même table pour essayer de répondre à cette question. Ensemble, nous avons parlé de maison autosuffisante, d’autonomie énergétique, de simplicité volontaire et de la nature.
À noter que Solution ERA est un centre de formation, et non pas un service d’installation ou de vente de panneaux solaires 😉
Est-ce possible au Québec de construire une maison autonome en énergie?
Selon les études, oui, c’est théoriquement possible d’avoir une maison autonome en électricité, et à peu près en nourriture. Mais d’après nos invités, la réalité est un peu différente. Tout simplement parce que nous n’avons pas toujours conscience de la quantité d’énergie que nous consommons, et que la saisonnalité joue beaucoup par chez nous.
Pour en parler, nous avons le plaisir de recevoir :
Martin Lambert : Expert en systèmes d’énergie renouvelable et spécialisé en systèmes photovoltaïques et thermiques.
Rémy Prat : Expert en systèmes photovoltaïques et fondateur de Solaire Design.
Dans le cadre des projets qu’ils mènent pour les particuliers, il y a souvent un décalage entre consommation réelle et consommation souhaitée. Les calculs initiaux des besoins énergétiques sont souvent réalisés par les propriétaires eux-mêmes… Et les chiffres ne reflètent pas toujours la réalité.
La tendance générale est plutôt à l’augmentation de la consommation d’électricité. Les maisons sont de plus en plus équipées. Mais pour devenir autonome en énergie, on ne peut pas consommer toujours plus. Dans ce cas, il faut être prêt à faire des concessions.
Le défi est double pour ceux qui souhaitent se déconnecter totalement du réseau public. Il faut alors être capable de stocker l’énergie pour l’utiliser au besoin. Cela nécessite d’investir dans des batteries et de plus grosses installations.
D’un autre côté, le réseau d’Hydro-Québec nous donne accès à de l’énergie en continu et en quantité. Elle est aussi parmi les moins chères et les plus vertes du monde.
C’est pourquoi rester branché à l’électricité publique reste le moyen le plus facile d’assurer sa sécurité énergétique, ce qui n’empêche en rien de s’équiper de panneaux solaires pour assurer sa résilience, tout en utilisant le réseau public au besoin.
Pour se débrancher complètement du réseau, il faut être prêt à faire tous les efforts pour consommer moins d’énergie. Sans cela, le projet risque de ne pas aboutir.
Le stockage de l’énergie est le défi principal. Donc moins vous consommez, moins vous devez stocker. D’ailleurs, les personnes qui souhaitent vivre en autonomie totale d’énergie ont à l’origine la volonté de changer leur style de vie.
Comment acquérir une autonomie énergétique tout en restant branché au réseau public d’électricité?
Quand on est relié au réseau, Hydro-Québec fait office de réserve de stockage. Il suffit de se brancher en autoconsommation. Cela consiste à produire et à consommer sa propre énergie à l’aide de panneaux solaires, mais à vendre les surplus au réseau, qui peut aussi être utilisé pour combler le manque d’énergie au besoin.
Pour faire simple, avec l’autoconsommation électrique solaire :
- On consomme l’énergie pour alimenter ses équipements
- On injecte le surplus de production dans le réseau public
Hydro-Québec achète l’électricité solaire produite par les particuliers. En échange de votre production, vous percevez des crédits qui financent votre consommation future. Ces crédits sont valables pendant 2 ans.
Comment faire pour avoir une maison totalement autonome en électricité?
Idéalement, il faut réapprendre à vivre avec le soleil. C’est un rythme de vie différent de celui dont on a l’habitude, surtout en milieu urbain.
Par exemple, on profite d’une belle journée ensoleillée pour faire son lavage et au besoin faire plusieurs lessives. Les journées grises, le linge doit attendre.
Le rythme des saisons est étroitement lié avec le soleil et l’apport de lumière. Dans un habitat off-grid, on vit davantage au rythme de la nature. C’est une toute nouvelle philosophie de vie à adopter.
Vous consommez et vous vous équipez différemment. Présentement, nos styles de vie sont adaptés à l’abondance à laquelle nous avons accès. Un accès illimité à l’électricité, ou encore, à la nourriture qui provient de plusieurs continents. La simplicité volontaire permet de rendre les projets d’habitat autonome plus viables.
La maison de Rémy Prat est un bel exemple. Elle est totalement autonome en énergie. Il l’a pensée et construite selon les méthodes de Solution ERA. Sa maison est d’un confort remarquable, et ce, malgré son mode de vie autonome et les températures froides de l’hiver. À titre d’exemple, lorsqu’il fait 0°C à l’extérieur, la maison n’a pas besoin d’être chauffée.
Produire son énergie et la stocker en quantité suffisante est tout à fait envisageable avec une :
- Minimaison ou tiny house
- Maison basse consommation
- Maison passive
- Maison certifiée (Passivhaus, Novoclimat, LEED)
Avec ces types d’habitation, produire soi-même le peu d’énergie nécessaire à leur fonctionnement devient intéressant.
L’autonomie totale est aussi plus facilement atteignable sur de nouveaux projets. Les installations solaires sont préalablement intégrées dans les plans de construction.
Cela devient plus compliqué avec une maison déjà construite, mais les techniques existent pour le faire.
Quelles sont les évolutions technologiques de l’énergie solaire?
Avec les années, les batteries solaires ont gagné beaucoup d’autonomie. Les particuliers sont plus enclins à investir, car l’équipement solaire est moins contraignant qu’il ne l’a déjà été.
L’industrie réfléchit déjà à la meilleure façon de profiter de l’énergie stockée dans les batteries des voitures électriques pour alimenter les maisons. On pourrait à terme arriver à un système compatible comprenant :
- La maison qui alimente la voiture
- La voiture qui restitue l’énergie au besoin
Et bientôt, il sera sûrement possible de recycler une batterie de voiture pour stocker l’énergie d’une maison. Quand une batterie d’auto perd 20 % de sa capacité, elle est considérée en fin de vie. Ces batteries pourraient avoir un deuxième cycle de vie en stockant l’énergie d’une maison.
On constate qu’il y a de plus en plus de personnes intéressées à s’équiper pour gagner de l’autonomie d’énergie. Cependant, leurs besoins actuels sont élevés, comme nous en avons parlé plus tôt.
Les Québécois se classent parmi les peuples les plus énergivores en électricité à travers le monde. Donc être conscient que la rentabilité d’une installation solaire à ses limites est important.
L’éolien a-t-il sa place dans un projet de maison autosuffisante?
Il existe peu de sites au Québec où les vents dominants sont assez forts pour faire tourner les pales d’une éolienne assez souvent. Une éolienne résidentielle, dans la majorité des régions du Québec, ne produit pas beaucoup de watts.
Il y a d’autres contraintes à connaître :
- Une éolienne en activité fait du bruit, ce qui peut devenir dérangeant aux abords d’une maison.
- La turbine nécessite d’être entretenue avec les connaissances que cela implique.
- Les pièces mobiles peuvent être amenées à se déplacer ou à briser, il y a donc de la maintenance à faire.
Des panneaux photovoltaïques, en revanche, requièrent peu d’entretien et fonctionnent partout. Et à mesure que les prix du matériel solaire baissent, l’éolien perd de l’intérêt.
Est-il possible d’avoir une maison autonome en nourriture?
Au Québec, il est possible d’autoproduire partiellement sa nourriture. Bien sûr, vous ne pouvez pas vous attendre à conserver les mêmes habitudes alimentaires : il faut manger avec les saisons.
Pour en parler, nos experts :
Martin Boisvert : Expert en petit élevage de poules à la maison et spécialisé en aménagements écologiques du territoire.
Wen Rolland : Expert en permaculture et enseignant en design permaculturel et en conception de systèmes écologiques.
Un particulier ne peut pas toujours tout faire pousser sur son terrain, faute d’espace, de dénivelé ou autre. Et selon l’endroit où vous habitez et le type de terrain, il y a des végétaux qui poussent mieux que d’autres.
Prenons l’exemple des céréales, un type de culture qui demande de grandes surfaces cultivables et l’espace de stockage à aménager; c’est toute une aventure de s’équiper pour manger du pain toute l’année 😉.
Pour ceux qui élèvent des animaux, il faut en plus ajouter la quantité de grains nécessaire pour les nourrir. Les moyens deviennent alors colossaux pour arriver à l’autonomie!
C’est pourquoi une autonomie alimentaire individuelle sera presque toujours partielle.
Par contre, à l’échelle locale, on rentre dans le domaine du possible. Dans une région ou une communauté, on peut se rapprocher sérieusement de l’autosuffisance totale.
Mais soyez rassuré : cultiver sa terre et atteindre l’abondance est tout à fait réalisable!
La meilleure stratégie est d’apprendre à connaître sa terre, et de bâtir ou rejoindre un système de partage de ressources pour profiter d’une plus grande diversité alimentaire.
Les pouvoirs publics pourraient aussi adapter les cadres légaux pour faciliter l’implantation de systèmes sociaux d’échange – pourquoi pas en parler à votre député?
Aujourd’hui, il est très facile de vendre sa production de légumes. Par contre, lorsqu’il est question d’élevage d’animaux, tout devient beaucoup plus compliqué.
Quel est le rôle des petits animaux dans l’autonomie alimentaire?
Quand on intègre les animaux dans sa production alimentaire, ceux-ci participent à fournir des éléments essentiels qui contribuent au cycle du vivant, en produisant par exemple du carbone et de l’azote pour nourrir les plantes.
Selon les concepts de la permaculture, chaque être vivant à son rôle à jouer. Un bon exemple est celui de la poule. Elle est votre alliée pour désherber et éliminer les parasites d’un terrain.
Par contre, il faut faire attention à votre jardin. Elle mange autant les graines que vous venez tout juste de semer, que les fruits que vous auriez bien aimé avoir pour le souper!
Il faut apprendre à composer avec les forces et les limites de chaque animal. Quand on avance avec la nature plutôt que contre elle, l’abondance arrive très vite. Et avec elle, la faune et la flore sauvage.
Un écosystème équilibré et en santé attire naturellement les pollinisateurs, les insectes et les oiseaux, mais aussi leurs prédateurs. Chacun à leur manière, ces animaux sauvages contribuent à faire fructifier les cultures et à équilibrer l’écosystème.
Pour développer une maison autonome en nourriture, il y a beaucoup de temps à investir. Un mode de vie plus résilient nécessite d’ajouter une charge de production. Il y a un ratio à prendre en compte entre le temps passé au travail et le temps de travail pour soi.
Combien de temps devez-vous libérer pour travailler chez vous?
C’est un changement de mode de vie, plein d’apprentissages pour entretenir son jardin, ses équipements électriques et mécaniques ou prendre soin de ses animaux. Vous aurez aussi à apprendre les techniques pour transformer et conserver la nourriture pour profiter de vos récoltes toute l’année :
- Le cannage
- La congélation
- Le séchage
- La déshydratation
S’approprier toutes ces connaissances prend du temps et aussi de l’investissement personnel. Mais sans devenir complètement autonome, il est possible de créer une autonomie de résilience, qui peut permettre de s’autosufire quelques semaines ou quelques mois en cas de crise.
Quelles actions mettre en place pour avoir une maison autonome pour quelques mois?
Pour se préparer en cas de situation difficile ou de bris de normalité, il est possible de transformer son logement en habitat résilient pour une autonomie temporaire. Voici quelques actions concrètes à mettre en place.
Bien se préparer à l’avance
La préparation est un élément essentiel. Ce n’est pas quand la crise survient qu’il faut y penser. Commencez tôt, cela vous donne la chance de vous former, de développer vos projets et de les tester.
Diminuer sa consommation d’énergie
On dit souvent que l’énergie la moins chère est celle qu’on n’utilise pas. Apprendre à vivre davantage dans la simplicité rend plus résilient.
Comme point de départ, commencez par évaluer votre consommation personnelle. Vous prendrez alors conscience de vos besoins et des priorités énergétiques d’un logement.
Ensuite, cherchez comment réduire votre consommation. Éviter les charges fantômes des appareils électriques est une action concrète et facile à mettre en place.
Apprendre à utiliser les ressources locales
Goûtez aux produits locaux et apprenez à connaître ce qui se cultive au Québec. Vous aurez le plaisir d’apprendre à cuisiner de nouveaux légumes et pourquoi pas de les faire pousser.
Une autre possibilité est de vous rapprocher de l’autosuffisance alimentaire en vous construisant une serre. Ou encore, d’aménager une chambre froide. C’est un projet qui ne demande pas trop d’investissement.
Un vide sanitaire sous une maison peut servir de chambre froide. Prenez ensuite l’habitude de stocker chaque automne des aliments qui se conservent bien (courges, oignons, patates, pommes, etc.). C’est aussi l’occasion de la remplir avec les aliments que vous aurez mis en conserve 😊.
Se former à devenir plus autonome
Les formations offrent l’opportunité d’avancer plus vite tout en évitant les erreurs. D’autant plus quand il s’agit de gérer des systèmes aussi complexes que des installations électriques ou des animaux d’élevage.
Lorsqu’on veut mettre sur pied une maison autonome durable, il faut comprendre son fonctionnement et apprendre à gérer les imprévus, autant pour l’autonomie énergétique qu’alimentaire.
C’est un apprentissage de tous les jours! C’est aussi un mode de vie à adapter aux limites du système. C’est une expérience dans laquelle vous êtes amené à suivre les cycles du soleil, des saisons, des plantes et des animaux; un mode de vie vous replace au cœur de la nature.
Pour en savoir plus sur les projets actuels de nos invités, visitez leur site web :
Martin Lambert – Ecosolaris
Martin Boivert – Neo-Terra
Wen Rolland – Design Écologique
Rémy Prat – Solaire Design