Au cours de cet entretien tenu dans le cadre de l’événement Districtement Habitat de l’APCHQ, nos 3 invités experts en construction de maison basse consommation nous parlent de maisons haute performance.
Ils nous expliquent ce qu’il est possible de faire pour garder son habitation confortable pendant l’hiver, tout en chauffant peu, et fraîche durant l’été sans climatiser! Une maison basse énergie sans chauffage ni climatisation, c’est un idéal de performance qu’on peut atteindre, même au Québec.
Maison basse consommation, haute performance
Toutefois, construire une habitation qui ne demande que peu ou pas d’énergie demande de bonnes connaissances techniques en bâtiment. C’est pourquoi pour nous en parler, nous avons la chance de recevoir :
Étienne Vigneron : charpentier-menuisier en construction écologique à haute efficacité énergétique.
William Murray : entrepreneur général formé aux sciences du bâtiment et constructeur d’habitations écologiques et certifiées PassivHaus.
Benoît Lavigueur : consultant, conférencier, expert et entrepreneur général reconnu en bâtiment écologique.
Table des matières

La maison haute performance sans chauffage : les besoins réels

Pour ces spécialistes de la construction passive bioclimatique, il est important d’évaluer le coût d’un projet en comparaison des économies d’énergie futures. Quels seront les bénéfices réels pour chaque étape d’amélioration du bâtiment?
Construire une habitation 80 % plus performante que les maisons conventionnelles (selon les standards du Code du bâtiment) est un objectif tout à fait réalisable.
Par contre les derniers 20 % seront plus coûteux et le retour sur investissement, moins intéressant. Dans ce cas, on peut se demander s’il vaut vraiment la peine de viser un tel niveau d’efficacité énergétique.
Les efforts à fournir sont à l’image de la loi de Pareto qui veut que 20 % de l’investissement apporte 80 % de résultats. La maison haute performance sans chauffage demandera d’apporter un investissement supplémentaire considérable pour réussir à combler les 20 % de performance restante.
En moyenne, un bâtiment au Québec coûte entre 1500 $ et 2000 $ de chauffage par année. Techniquement, il est assez facile et relativement peu coûteux de descendre à 500 $ par an avec une maison basse consommation.
Au-delà de ce cap, les interventions deviennent coûteuses, car elles sont plus complexes. Et elles permettront de sauver moins d’argent.
Toutefois, entre la maison basse énergie et le bâtiment conventionnel, il existe tout un éventail de solutions intermédiaires. L’idéal est de viser l’équilibre entre l’efficacité et le confort.

Le rapport entre le niveau de confort et l’effort d’isolation

Quel niveau d’isolation doit-on atteindre pour être confortable dans une maison sans chauffage?
Au Québec pendant la saison froide, sans aucun chauffage, il est possible de conserver une température aux alentours de 15 °C grâce à un design bioclimatique (orientation au Sud, fenestration, masse thermique, etc.) et de compenser les quelques degrés manquants avec un système de chauffage d’appoint à très peu de frais.
Construire une maison basse consommation
Une autre solution : optimiser la fabrication et l’isolation de la maison pour éviter les pertes de chaleur grâce à des techniques de construction performantes. Par exemple, on trouve des bâtiments qui répondent aux normes Passivhaus (habitat passif en énergie) au Québec.
Toutefois, une maison à haute performance énergétique demande souvent un grand niveau d’expertise (donc un entrepreneur versé dans ces techniques) et un budget supérieur à une construction traditionnelle.
Par contre, il est facile de se passer de climatisation grâce au seul design passif! Par les pires temps de canicule, on peut flirter avec les 27 °C pendant 1 ou 2 nuits, ce qui reste assez confortable sur une courte période.
Idéalement, il s’agit de trouver un juste milieu entre performance et qualité de vie.
Et si on a un terrain avec une vue imprenable au Nord, on mettra forcément des ouvertures du côté nord du logement, malgré les préceptes du bioclimatique. Un cas de figure où il faut savoir faire des compromis!
Le bien-être est à prendre en considération autant que la performance : une maison, c’est l’investissement d’une vie!

Coûts de construction et enveloppe d’une maison basse consommation

L’enveloppe du bâtiment (étanchéité et isolation) est souvent ce qui génère les plus grandes questions au niveau technique ET budget. Mais il faut prendre les bonnes décisions dès le départ : une fois en place, il sera difficile de la modifier.

Quand il faut choisir entre étanchéité et l’isolation

Agir en premier sur l’étanchéité apporte des résultats rapides et efficaces (portes, fenêtres, filtre à air, etc. sont des ouvertures directes sur le froid du dehors qu’il convient d’étanchéifier au maximum pour conserver la chaleur).
S’il fallait changer une seule chose dans le Code du bâtiment, selon nos experts, ce serait d’ajouter une cible d’étanchéité pour garantir une meilleure performance.

Les normes en isolation

Elles sont différentes selon le niveau de consommation d’énergie de l’habitation. Voici un tableau de 3 niveaux de performance différents.

Normes 
d’isolation
Normes PassivHaus en Europe Normes Pretty Good House
aux États-Unis
Normes du Code du bâtiment 
au Québec
Fondations R40 R20 R10
Murs R75 R40 R25
Toit R110 R60 R45

Les économies d’énergie avec une habitation basse consommation

Pour construire ce type d’habitation, il faut compter un 5 % d’investissement supplémentaire pour sauver 12-13 % sur le coût de l’énergie. Donc, même si le coût initial est plus élevé, on économise tout de même!
Notez que ces chiffres reflètent le coût actuel de l’électricité. Pour l’instant, l’électricité québécoise est l’une des moins chères au monde.
Pour ajouter de la précision aux calculs, il faudrait prendre en compte l’augmentation du prix de l’énergie. Et si on rajoute les frais d’électricité qui seront épargnés à l’échelle d’une vie, ça commence à faire une grosse différence!
La maison très basse consommation
À cela, on pourrait même considérer ajouter les économies réalisées sur les rénovations grâce à la durabilité de l’enveloppe du bâtiment et des matériaux.
Au final, une habitation éco-énergétique revient moins chère si on fait le calcul sur plusieurs années. C’est la différence entre le coût d’achat et le coût de possession.

Comment réduire les frais de construction d’une maison basse consommation?

La solution vient en grande partie du client. Pour résumer, il faut faire des compromis sur le design pour se permettre plus de qualité. C’est sûr qu’une maison qu’on n’aime pas est toujours trop chère! Alors pas question de sacrifier nos essentiels. Mais pour réduire les frais, il faut rester flexible sur certains aspects de taille, de design, etc.
En travaillant uniquement sur le design du bâtiment (ou sur le timing grâce à une maison évolutive) on peut avoir une maison conventionnelle et une maison basse consommation pour le même prix.
Typiquement, les habitations ont souvent des toitures aux formes très sophistiquées avec des arêtes, des noues, des lucarnes, etc. On peut réduire les frais simplement en simplifiant la conception du toit.
De manière générale, l’efficacité énergétique du bâtiment remet en question notre manière de construire. A-t-on besoin d’autant de pieds carrés pour bien vivre?
En diminuant de 10 à 20 % la surface habitable, on réduit considérablement les frais. On sauve de l’argent non seulement sur les coûts de construction, mais aussi sur le chauffage.
Une autre solution est de faire construire une maison jumelée pour laquelle il n’y a pas de déperdition à travers le mur mitoyen. Cela représente de 20 à 25 % en moins de chauffage.
En bref, une maison performante, basse consommation n’est pas la seule option pour bénéficier des avantages du bâtiment écologique.

Quels sont les avantages d’une maison basse énergie?

Les nombreux avantages d’une maison performantes sont loin de se limiter à ses aspects écologiques!

Plus de confort de vie

Une habitation avec des fuites d’air a un impact direct sur le confort thermique des habitants. Les murs irradient du froid et on peut sentir les courants d’air dans la maison.
Avec des fenêtres à triple vitrage : pas de givre, ni de fraîcheur. Elles sont essentielles pour améliorer l’isolation thermique. On peut s’asseoir toute l’année sur le bord de la fenêtre et ne rien sentir même s’il fait -30 °C dehors.
En quelque sorte, c’est comme si on gagnait du pied carré sur le bord des fenêtres!

Construction d’une maison basse énergie

Un environnement plus sain

Les maisons traditionnelles présentent souvent une enveloppe peu étanche à travers laquelle l’air circule.
Le problème, c’est que si le point de rosée (l’endroit où l’air froid de dehors et l’air chaud de dedans se rencontrent et condensent) se trouve à l’intérieur du mur, l’humidité s’y accumule et peut, à terme, créer de la moisissure et autres problèmes invisibles dans l’isolation.
Si l’air que vous respirez à l’intérieur est celui qui passe à travers les murs (et donc à travers votre isolation et les potentiels champignons, moisissures ou composés organiques volatils des matériaux qui y sont contenus), on convient que c’est loin d’être idéal.
Puisque l’enveloppe d’une maison performante est fabriquée de manière à être la plus étanche possible pour éviter ce problème, il faut bien que l’air à l’intérieur soit renouvelé d’une manière ou d’une autre!
Investir dans un échangeur d’air de qualité permet de le faire de façon mécanique et contrôlée. C’est donc un outil primordial pour assurer une qualité d’air supérieure à l’intérieur d’une maison performante.
Et quand on a presque plus besoin des radiateurs pour se chauffer l’hiver, on élimine du même coup le problème de sécheresse de l’air!

Des constructions durables dans le temps

Dans les constructions d’après les années 70, il y a presque toujours des problèmes de pourriture ou de moisissure dans l’enveloppe. Les murs ne sont pas assez isolés et pas assez étanches.
En conséquence, comme mentionné plus haut, le point de rosée arrive au milieu du mur. La vapeur et l’humidité restent prises dans le mur et à cause des changements de température, elle se transforme en glace. Le mur ne sèche pas de façon optimale.
Et pour celles construites avant 70, elles laissent s’échapper largement la chaleur à travers les murs. Il n’y a pas de problème, les murs sont secs, mais la consommation d’énergie est énorme!
Avec un bâtiment bien conçu, il y a moins de risques d’avoir des problèmes au bout de 10 ans et moins de réparations à faire. Ce type de bâtiment est plus durable et participe à préserver les ressources naturelles de la planète.

La science du bâtiment au service de notre confort

Vous l’aurez compris, le principe est plutôt simple : une maison basse consommation doit avoir l’enveloppe la plus étanche possible. Tout le monde ne connaît pas la science du bâtiment, mais l’essentiel n’est pas si compliqué.
On a des exemples dans notre vie de tous les jours. Si on part en randonnée, on va s’équiper avec un vêtement en GoreTex qui va évacuer la transpiration. Et si on participe à une activité de pêche sur la glace, où on risque moins de bouger, on choisira un gros manteau d’hiver très isolant.
La même chose s’applique à la maison!

Quels sont les inconvénients de la maison basse consommation?

On a parlé des avantages alors pour rester objectif, il est bien normal de parler aussi des désavantages.

Les entrepreneurs formés aux techniques écologiques sont rares

L’offre est faible pour le particulier. L’entrepreneur de la région propose rarement ces services.
Dans ce cas, il est possible de participer à la formation d’un entrepreneur qui a de l’intérêt pour ce domaine. Et une fois qu’un entrepreneur comprend les principes de construction passive, il a envie de les mettre à profit.
De plus, il y a une grande ouverture d’esprit et une curiosité de la part des entrepreneurs pour ces sujets. C’est pourquoi il faut partager l’information entre professionnels et mettre des ressources en accès libre comme la base de données open source de PassivHouse.
Échanger des connaissances, des nouvelles techniques, des nouveaux matériaux, tout le monde y gagne!

Le temps nécessaire au projet

La conception de ce type d’habitation prend plus de temps. Il n’est pas possible de prendre un plan et de le reproduire. On doit s’adapter au terrain pour optimiser la performance du bâtiment, et les coûts supplémentaires viennent en partie de cette étape.
Pour résumer, la différence de prix relève…

      • du temps de conception un peu plus long;
      • des matériaux plus durables;
      • de la minutie indispensable pour s’assurer de bien faire les choses.

L’habitat haute performance ne « respire » pas assez

Voici un argument souvent mis de l’avant au sujet de la maison très basse consommation. Les préjugés ont parfois la vie dure…
Techniquement, une maison ne devrait pas respirer, elle devrait sécher. Et au Québec, les murs doivent sécher vers l’extérieur. Lors de la construction, l’enveloppe doit évacuer l’humidité des assemblages des murs.
Ensuite, l’humidité ne doit jamais rester prise dans le mur. On en a déjà parlé, c’est ce qui est à l’origine des problèmes de moisissures. Voilà pourquoi on ne veut pas que l’air passe à travers les murs. L’air sera renouvelé en ouvrant les fenêtres, et grâce à un échangeur d’air.

Quel système de chauffage choisir pour une maison très basse consommation?

Avant de parler des systèmes de chauffage, calculez vos besoins réels! Avec une maison très basse consommation, vous pourriez être surpris du peu de chaleur additionnelle nécessaire à votre confort!

Les différents chauffages

En règle générale, une plinthe par étage (un radiateur pour nos amis français) suffit à chauffer le bâtiment. On peut choisir d’autres systèmes comme le plancher radiant ou la thermopompe, mais les résultats ne seront pas plus efficaces au niveau de l’énergie.
Et puisqu’il n’y a pas de perte d’énergie, les activités du quotidien suffisent pour produire le plus gros de la chaleur. Les habitants, la cuisson des aliments, le chauffe-eau, le soleil… ce sont eux les principaux éléments de chauffage!

Le foyer au bois

Pour tous les amoureux du foyer au bois, il est conseillé de l’installer dans une zone tampon. C’est-à-dire dans une pièce qui ne fait pas partie de l’enveloppe (une pièce musicale, une serre, etc.). L’important est de ne pas venir perforer l’enveloppe avec la cheminée.
Avec le chauffage au bois, on ne contrôle pas la chaleur émise : on surchauffe en plus de perdre de l’énergie par la cheminée. Au bout du compte, c’est plus une habitude culturelle qu’un système de chauffage efficace.
Et s’il y a une coupure de courant, pas de panique! On invite du monde chez soi et ça chauffe amplement tout l’espace habitable.

Peut-on faire des rénovations haute performance?

Cela dépend si on a besoin de rénover à l’intérieur de l’habitation ou à l’extérieur. On peut toujours rénover haute performance, mais c’est un travail coûteux et d’une ampleur considérable.

Rénover de l’intérieur pour gagner en performance énergétique

Si on doit refaire l’intérieur de son enveloppe, on travaille en priorité l’étanchéité. De cette façon, on sauve de l’énergie sans perdre de la surface habitable. L’isolation pourra être réalisée dans une 2e phase, au moment de refaire le revêtement.

Rénover de l’extérieur pour augmenter l’isolation de l’habitat

On peut utiliser la technique de Larsen truss. Cette méthode consiste à monter une double ossature en poutrelles de bois autour de l’enveloppe pour ne pas perdre de pieds carrés.

Fabriquer une maison haute performance

Photo : greenbuildingadvisor.com


Avec cette méthode, on ajoute de l’isolation et de l’étanchéité avant de refaire le revêtement. Et pendant le temps des travaux, les occupants peuvent rester chez eux!

Le programme Rénoclimat finance une partie des rénovations

Avec ce programme pour la transition énergétique, les particuliers obtiennent une aide financière pour rénover. Facile, il y a seulement 2 étapes d’inspection :

      • 1re visite : test d’infiltrométrie et du niveau d’étanchéité;
      • 2e visite : validation après les travaux.

Rénoclimat offre aussi des subventions pour l’ajout d’un échangeur d’air, d’une thermopompe et pour certaines petites améliorations de l’étanchéité peu coûteuses telles que l’isolation des prises électriques et l’étanchéisation des bordures de fenêtres.
Et plus on augmente la performance du bâtiment, plus le programme Rénoclimat subventionne.

Quelles sont les perspectives d’évolution énergétique des bâtiments?

Le gouvernement fédéral souhaite modifier le code pour qu’en 2030, il y ait des bâtiments standards net zéro. Il souhaite que les énergies renouvelables soient intégrées aux logements.
L’objectif est de viser l’autonomie énergétique sur le bilan d’une année. Construire des maisons à haute efficacité énergétique est la voie à suivre pour réduire les émissions de CO2.
Et pour Benoît, William et Étienne, il existe beaucoup de pistes d’amélioration pour construire plus durable. En voici quelques unes!

Inspection des nouvelles constructions

Actuellement, c’est la qualification des entrepreneurs qui garantit que le travail est bien fait. Le Code du bâtiment pourrait intégrer des inspections systématiques à ses pratiques.
Dans le Vermont par exemple, une cible d’étanchéité à l’air a été ajoutée au Code et toutes les constructions doivent se faire vérifier.

Test d’infiltrométrie

Le Code du bâtiment et les contrats de construction devraient avoir une exigence au niveau de l’infiltrométrie pour garantir un certain niveau d’efficacité énergétique.
Le test d’infiltrométrie consiste à fermer complètement la maison et à en tirer l’air grâce à un gros ventilateur et un manomètre pour calculer la pression qui s’en échappe.
Il est ainsi facile de sentir d’où l’air pénètre la maison, et le rapport du test donne un résultat de surface, soit la surface totale de toutes les anfractuosités qui laissent passer l’air extérieur dans la maison.
Une maison performante pourrait avoir une surface totale de “trous” dans l’enveloppe d’une pièce de 2 dollars, pour vous donner une idée!
Le programme Novoclimat a été créé en 2000 pour préparer l’industrie au prochain Code du bâtiment. Le dernier en date intègre les recommandations du programme à l’exception du test d’infiltrométrie et des inspections. Ce sont les 2 éléments qui feraient une grande différence pour nos experts.

Formation continue

Donner l’accès à de la formation continue pour permettre aux travailleurs d’acquérir des techniques en bâtiment écologique. C’est une pratique qui se fait déjà en Ontario.

Implication des banques

La reconnaissance des bâtiments performants par les banques les rendrait plus accessibles pour le client. Les banques pourraient accepter un financement supplémentaire de 5 % ou 10 % pour le particulier qui souhaite construire une habitation écologique.

Sensibilisation de la population

Mettre de l’avant les objectifs environnementaux et les intérêts économiques de la performance énergétique ferait prendre conscience à plus de personnes de l’impact positif de telles méthodes.
Si nous étions tous aussi fiers de la performance de nos maisons que nous le sommes de nos voitures de sport, assurément il y aurait plus de bâtiments haute performance!
Pour en savoir plus sur nos invités, plongez au cœur de leurs projets en visitant leur site web :
Étienne VigneronÉcoNovation
William MurrayConstruction Rocket
Benoît Lavigueur benoitlavigueur.com