Issue de recherches universitaires allemandes sur la qualité de l’air intérieur à la fin des années 1960, la bau-biologie est la science des relations entre les êtres humains, leur habitat et leur environnement. Les Américains l’appellent plutôt la biologie du bâtiment, celui-ci étant désigné par le terme allemand bau.
La bau-biologie fut implantée sur notre continent par l’architecte allemand Helmut Ziehe. Également diplômé en génie, il a obtenu une maîtrise à l’École d’architecture de Londres, en Angleterre. Helmut a été formé par le père de la bau-biologie, le professeur d’architecture Anton Schneider, cofondateur en 1969 du groupe de travail Bâtir et habiter sain. Expert en technologie du bois, celui-ci était alors déjà très préoccupé par la pollution intérieure causée par le formaldéhyde et les pesticides ajoutés au bois. En 1976, il fonde l’Institute of Building Biology qui deviendra l’Institute of Building Biology and Sustainability de Neubeuern (IBN) en 1983.
En 1987, Helmut Ziehe s’établit en Floride où il fonde l’Institut international de Bau-biologie et d’écologie en Amérique. En 1993, il est invité à prononcer une allocution au congrès de la Société d’énergie solaire du Canada, à Québec. C’est là que je l’ai rencontré pour la première fois. À la suite de cette rencontre, je deviens biologiste du bâtiment et par la suite consultante BBEC (Building Biology Environmental Consultant). Helmut nous a malheureusement quittés en janvier 2013. Pendant 25 ans, il a œuvré à répandre la bau-biologie sur notre continent. Depuis 1977, plus de 10 000 personnes ont étudié cette discipline dans de nombreux pays.
Des maisons naturelles et biocompatibles
La maison de Ginette Dupuy comprend plusieurs centaines de blocs de terre.
Cette science du bâtiment reconnait que la santé des humains est intimement liée à la qualité de l’environnement dans lequel ils vivent, puisqu’ils font partie intégrante de la nature. La bau-biologie est basée sur 25 règles qui visent à nous rapprocher le plus possible de la nature. Elle couvrent la plupart des critères du système de certification LEED du US Green Building Council fondé en 1993, mais d’autres vont encore plus loin. J’aimerais vous présenter ces règles qui faisaient véritablement de la bau-biologie le précurseur des bâtiments sains et écologiques il y a 40 ans.
La première et l’une des plus importantes : utiliser des matériaux de construction naturels et non altérés. C’est un bon départ pour parler de la bioconstruction. En 2013, je commençais la construction de la première maison en blocs de terre comprimée ici au Québec. J’explique ici 8 des 25 règles de la bau-biologie en me servant de cette maison, car elle ne contient que des matériaux naturels. Il s’agit principalement d’une maison de terre et de bois en harmonie avec la vie.
Géobiologie et biogéométrie
Voici la deuxième règle que je voudrais aborder : s’assurer que le site de construction n’a aucune perturbation géologique. Avant de m’étendre sur cette règle, j’aimerais vous parler du Dr Ibrahim Karim, architecte égyptien et fondateur de la biogéométrie. Helmut Ziehe et Ibrahim Karim se connaissaient très bien. La biogéométrie est basée sur 45 ans de recherches et réunit la science et la spiritualité. Elle étudie entre autres les courants telluriques, c’est-à-dire les champs électromagnétiques émanant de la terre. L’étude de ces courants nous permet de connaître l’état de la santé de notre site avant la construction. Les courants telluriques se composent de divers réseaux énergétiques. L’un d’eux, le réseau Hartmann, est constitué de bandes orientées nord-sud et est-ouest, sorte de filet énergétique qui englobe la terre. Ces bandes forment des rectangles de 2 mètres dans le sens nord-sud et de 2.5 mètres dans le sens est-ouest. Quant au réseau Curry, il agit diagonalement à celui du réseau de Hartmann. Quand le réseau Hartmann et le réseau Curry se croisent au-dessus d’une faille ou d’un courant d’eau souterrain, les champs telluriques naturels sont perturbés et cette situation peut s’avérer pathogène. Il importe absolument donc d’étudier notre site avant de construire. La salubrité énergétique du site de ma maison a été vérifiée par le Dr Karim lui-même.
Murs diffusants
La troisième règle que je vous présente se lit ainsi : utiliser des murs, planchers et toitures qui permettent à l’humidité de passer. Les matériaux de construction ayant cette capacité ont une grande perméabilité à la vapeur d’eau. On dit communément que ces matériaux « respirent », mais en fait ils perspirent, leurs pores sont ouvertes et diffusent la vapeur (ce qui n’empêche pas de créer des murs étanches à l’air). Le médecin allemand Hubert Palm, qui a inspiré le professeur Schneider, qualifie notre maison de notre troisième peau, la deuxième étant nos vêtements, et souligne que cette troisième peau doit « respirer ».
Les murs de ma maison, dont le côté intérieur est en blocs de terre, n’ont pas de coupe-vapeur. Diane Bastien, alors doctorante à l’Université de Concordia, a simulé avec le logiciel WUFI la vie de mes murs pendant plusieurs saisons et il n’y a aucun risque de condensation. Pourquoi? Le matériau terre présente une grande perméabilité à la vapeur d’eau, tout comme la cellulose qui isole mes murs. S’il y a de l’humidité dans le mur, elle en sort rapidement sans endommager ses composantes. Dans un tel mur, il est donc important de ne pas mettre de pare-vapeur.
Chauffage radiant
La quatrième règle : utiliser le chauffage radiant pour chauffer les bâtiments en employant le plus possible le solaire passif. La qualité principale du matériau terre réside dans sa masse thermique. Selon la Dre Myriam Olivier, ingénieure de formation qui a fait son doctorat sur le matériau terre, celui-ci possède une masse thermique trois fois supérieure à celle du béton. Sur le côté sud de ma maison, de grandes fenêtres reçoivent la chaleur du soleil. Au Québec, les journées les plus froides ne sont-elles pas les plus ensoleillées? Quand il ne fait pas soleil, un foyer de masse prend la relève. Et quand je m’absente et n’utilise pas ce foyer, la maison est chauffée par de vieux radiateurs en fonte qui sont récupérés, restaurés et électrifiés par la compagnie Ecorad. Ces trois systèmes, le solaire passif, le foyer de masse et les radiateurs représentent tous des types de chauffage radiant. Leur chaleur se trouve irradiée et stockée dans les murs de terre (masse thermique) et restituée quand la température de l’air intérieur est inférieure à celle des blocs. J’ai donc toujours deux chauffages pour le prix d’un!
Avec un matériau possédant une grande masse thermique comme le bloc de terre, il est nécessaire d’utiliser un chauffage radiant pour la chauffer directement. De plus, le chauffage radiant est le meilleur pour la santé. Il chauffe les objets et les personnes avant l’air. Il assure le confort à une température beaucoup plus basse que celle requise avec un système à air chaud. Il s’agit donc d’un matériau sain mais aussi économique car il permet de réaliser des économies d’énergie : en stockant la chaleur qu’il restitue ensuite, le bloc de terre réduit aussi les pertes d’énergie et permet de réduire la température de l’air en hiver sans nuire au confort. Chez moi, elle se situe généralement autour de 20 degrés Celsius, quitte à mettre une petite laine avant de repartir le foyer quand le soleil disparaît.
En France, la règlementation thermique de 2012 (RT 2012) a introduit l’Indice Bbio qui caractérise l’impact de la conception bioclimatique qui doit satisfaire à des exigences minimales d’efficacité énergétique en tenant compte notamment de l’orientation solaire, de l’isolation, de la compacité et de l’inertie (ou masse) thermique.
Serre et masse thermique
J’ai une nouvelle serre qui se trouve attenante à ma maison. Le mur qui la sépare de celle-ci se compose de deux rangées de blocs de terre totalisant 40 centimètres de profondeur. Cette très grande masse thermique s’érige sur deux étages, ce qui contribue de façon importante à la masse thermique de la serre. Sur les trois autres côtés de celle-ci, j’ai utilisé une pellicule d’éthylène tétrafluoroéthylène (ETFE). L’ETFE laisse passer jusqu’à 90 % du spectre solaire, incluant les ultraviolets si utiles dans une serre, puisque ces rayons détruisent les moisissures. Cette pellicule dure 50 ans en moyenne et en fin de vie utile, elle peut être retournée tout simplement à la terre, puisqu’elle est minérale et non plastique. C’est donc le matériau écologique par excellence pour une serre.
Cette serre est située sur le côté sud de ma maison. Au Québec, nous avons beaucoup de soleil pendant l’hiver et la réflexion de la neige blanche augmente les gains solaires dans un bâtiment jusqu’à 30 %. En hiver, je cultive dans ma serre des légumes qui aiment les nuits fraîches, comme les laitues et le kale. À la fin de mars, j’y prépare les semis pour mon jardin de l’été prochain. Je ne comprends pas pourquoi ici au Québec le côté nord des serres est souvent transparent. Ce mur devrait toujours être doté d’une importante masse thermique qui emmagasine l’énergie solaire le jour et la restitue durant la nuit. L’été prochain, j’aimerais me construire un caveau pour conserver les légumes d’automne. Avec les légumes frais de ma serre durant l’hiver, mon jardin l’été et le caveau, je serai presque autonome pour l’alimentation.
L’hygroscopie
La cinquième règle : contrôler l’humidité intérieure en utilisant des matériaux hygroscopiques. Un matériau hygroscopique absorbe l’humidité de l’air et la redonne quand le besoin s’en fait sentir. L’air d’une maison en terre n’est jamais sec pendant l’hiver parce que ce matériau est hygroscopique. L’hiver dans ma maison, l’humidité relative oscille entre 40 % et 50 %.Il s’agit d’un taux d’humidité parfait. Pendant l’été, on sait que c’est l’humidité qui rend la chaleur difficile à supporter. Le matériau terre est non seulement hygroscopique, mais, il possède aussi une masse thermique importante. Pendant l’été, un tel matériau hygroscopique qui absorbe l’humidité et possédant une grande masse thermique qui absorbe la chaleur nous permet d’avoir une maison naturellement fraîche, sans climatiseur.
L’ionisation
La sixième règle : préserver l’ionisation de l’air. On sait que l’air contient des ions négatifs et positifs, soit des molécules chargées électriquement. La bau-biologie nous enseigne que tout matériau plastique crée de l’électricité statique qui détruit les ions négatifs qui favorisent l’oxygénation, donc la qualité de l’air. D’où l’importance d’utiliser des matériaux naturels. Tout dans ma maison est naturel. Les murs en blocs de terre comprimée ont été laissés à leur état brut. Quant aux murs en gypse, je les ai finis avec une peinture à base de chaux ou un enduit d’argile. Toutes les boiseries, incluant les planchers, sont protégées par l’huile de lin Écosélection. L’ionisation de l’air y est donc très équilibrée. En effet, s’il importe d’utiliser des matériaux naturels, ceux-ci perdront leur qualité si on les recouvre de finis plastique, comme la peinture acrylique ou le vernis de polyuréthane qui génèrent de l’électricité statique. (Pour plus de détails, lire Building health: The need for electromagnetic hygiene?)
L’électrosmog
La septième règle : minimiser les champs électromagnétiques. La bau-biologie est la seule science du bâtiment qui prend en considération les champs électromagnétiques. De plus en plus de recherches confirment que ces champs peuvent avoir des conséquences graves sur notre santé (lire le rapport bioinitiative.org). Toute l’électricité de ma maison a été installée de façon à minimiser ces champs, par exemple avec des câbles blindés et une bonne mise à la terre.
Matériaux écologiques
La huitième et dernière règle : utiliser des matériaux de construction qui ont une énergie intrinsèque basse et qui ne créent pas de problèmes environnementaux. Dans mon livre Habitat sain et écologique, qui a été réédité en 2011 aux éditions Quebecor, j’étudie le cycle de vie de 25 matériaux de construction incluant leur énergie intrinsèque initiale, c’est-à-dire l’étude de toute l’énergie nécessaire de l’extraction des matières premières à la pose des matériaux en passant par leur transport. Plus l’énergie intrinsèque est importante, plus le matériau aura des conséquences sur l’environnement. Le matériau terre s’avère celui qui a la plus faible énergie intrinsèque des 25 matériaux de construction étudiés.
En conclusion
Ni nos codes du bâtiment ni la façon de construire en ce moment au Québec et au Canada ne prennent en considération ces sept premières règles de la bau-biologie. Pourtant elles sont très importantes et elles sont connues depuis 1976! C’est possible de les appliquer puisque je l’ai fait. Les systèmes de pointage actuels comme LEED considèrent plusieurs aspects écologiques de la construction, ce qui est bien mais insuffisant. Le système LEED a encouragé l’avènement de nouvelles certifications consacrées à la salubrité des bâtiments, comme WELL et Living Building Challenge. WELL, qui ne traite que des aspects sanitaires, ne s’applique présentement qu’aux immeubles commerciaux. Il sera intéressant de voir si un jour il s’adressera aux maisons. D’ici là, il est préférable de mettre toutes les chances de notre côté en habitant une maison saine où on puisse se régénérer et vivre en bonne santé.
Pour en savoir davantage
baubiologie.fr (France)
buildingbiology.com (Allemagne)
buildingbiology.net ou hbelc.org (USA)
Auteur de cet article : La maison du 21e siècle