Construire une maison « hors-norme » comme la maison de pneus de Benoit Deschamps demande énormément de détermination. Avoir à se dévouer autant pour faire accepter son projet par la municipalité, la banque, les assurances et même par son entourage, n’est pas un choix que tous envisageraient…

Dans la vision Earthship, certains objets normalement vus comme des déchets sont revalorisés dans la construction de la maison. Les bouteilles utilisées pour faire des murs en sont un exemple. Source : Radio-Canada

Plusieurs articles ont déjà été écrits sur la maison de Benoit. Il n’est pas surprenant qu’une maison aussi différente pique la curiosité ! Cependant, je ne voulais pas faire un article de plus sur celle-ci. Bien qu’elle m’intéresse beaucoup, je trouvais que son aspect technique avait déjà été extrêmement bien couvert par le Ebook de Benoit, les vidéos et cours de Solution ERA et les entrevues produites sur le sujet, notamment par Valhalla Superhero Academy et Pierre Blackburn, entre autres. Je souhaitais dédier un article à Benoit lui-même, le visionnaire derrière ce projet d’envergure.

Les prémices

Qu’est-ce qui est suffisamment puissant pour motiver un homme à étaler un projet de construction sur plusieurs années ? À le faire bien souvent par les soirs, après le travail et le temps avec les enfants ? À lire, tester, décortiquer, se tromper, corriger, recommencer ? À négocier et s’ajuster afin de faire accepter le projet auprès des différentes institutions ? À inviter des volontaires à l’aider, former les apprentis, accepter leurs erreurs, travailler en équipe ? À colliger toutes les informations, en faire un blogue puis un livre et recevoir chez lui les journalistes à plusieurs reprises durant la construction ? À continuer, même en étant parfois incompris, jugé ou remis en question ?

Ce n’est pas l’argent, puisque sa maison n’est pas moins dispendieuse qu’une maison conventionnelle, en plus de prendre beaucoup plus de temps.

Ce n’est pas la popularité, car il reste très humble dans ses apparitions et préfère mettre sa maison de l’avant plutôt que lui-même.

C’est quelque chose de plus grand, de plus fort, de plus viscéral.

« Je cherchais un type de maison vraiment durable, résiliente, pour tous les changements climatiques qu’on va affronter bientôt, très bientôt. C’est là que j’ai découvert les Earthships et je me suis dit, est-ce qu’il y en a au Québec? J’ai alors trouvé l’Es-Cargo, à Chertsey, et leur cours d’une semaine sur les technologies et bâtiments résilients. Ça a vraiment déclenché quelque chose, j’en suis revenu changé ; je voulais vraiment me construire un Earthship. Même s’il fallait l’adapter, au code et au climat, même s’il fallait le faire sur mesure, je pense que ça le vaut, vraiment. » a-t-il dit en entrevue à Valhalla Super Hero Academy. (PS: l’entrevue était en anglais, j’ai donc fait la traduction en reflétant au mieux possible les idées exprimées.)

À ce même pourquoi, cette fois posé par Pierre Blackburn en entrevue, il répond encore une fois par la résilience.

Dans la vision Earthship, certains objets normalement vus comme des déchets sont revalorisés dans la construction de la maison. Les bouteilles utilisées pour faire des murs en sont un exemple.
Source : Radio-Canada

« Pour faire les choses différemment. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses dans la construction qui me semblaient problématiques et même déficientes. On construit des maisons […] qui vont constamment avoir besoin d’énergie, qui vont constamment avoir besoin qu’on s’occupe d’elles, qui ne vont pas remplir des besoins autres que l’habitation. Donc le but est de faire une habitation intelligente, qui va rejoindre d’autres besoins de l’être humain. On est dans un contexte où si on tombe dans une catastrophe, une guerre ou un truc comme ça, nos besoins de base sont quand même remplis. La maison a été pensée pour ça. Si on perd l’électricité, on arrive quand même à se réchauffer. Si on perd l’eau courante, on a quand même de l’eau de pluie qui est filtrée et qu’on peut utiliser. Si on perd nos moyens de transport, on a quand même une terre qui est cultivée et des bassins de plantes [et de poissons] à l’intérieur pour subvenir à nos besoins en alimentation. Donc, c’est de remplir nos besoins de base, le plus simplement possible, à même une région la plus petite possible, pour que notre empreinte soit la plus petite possible. Nos ancêtres vivaient comme ça. Il y a plein de trucs, mais on les a perdus à cause de nos modes de vie qui ont évolués. On essaie de les redécouvrir. »

Une résilience clairement en réponse à un problème dérangeant qui prend de l’ampleur; celui des changements climatiques. De la nature, notre planète, notre habitat à tous, qui est malade. « Il est temps qu’on se rende compte que l’impact qu’on a sur l’environnement est plus grand que ce que l’on croit. C’est malheureux, mais l’être humain a tendance à changer ses comportements seulement quand on est confronté au pire. Quand on est rendu dans le mur, là on va réagir, on va dire mais qu’est-ce qui s’est passé ? Et là on va regarder derrière nous et on va dire Ah…oui on aurait dû faire ça. Je pense que le moment est déjà passé. Je pense qu’on est assez sensibilisé par toutes les campagnes sur l’environnement et tous les scientifiques qui nous disent qu’on est en train de passer le cap de non-retour. Je crois qu’il est temps d’agir, il faut faire quelque chose. C’est ce qu’on a décidé de faire; on arrête de le dire, on le fait ! »

Tout n’est pas perdu, il suffit de s’y mettre ! « Il faut se rendre compte de l’impact qu’on a sur la planète et il faut se rendre compte aussi qu’on peut changer les choses. C’est là que ça devient intéressant, parce qu’on change notre vision du monde. On peut dire si je fais ça, ça va avoir tel impact positif plutôt qu’un impact négatif. Si tu structures ta vie autour de cette philosophie-là, ça va changer ta vie, ça va changer ton attrait intérieur, ça va changer ta perception, et ça va amener des projets comme ça. Ça te donne la motivation pour construire, pour changer, pour essayer des choses. »

L’intérieur de la serre, où des légumes de toutes sortes pourront bientôt pousser ! Source: Radio-Canada

Un effet d’entraînement

Heureusement, de plus en plus de gens comme Benoit et sa conjointe Isabelle s’intéressent aux solutions qui existent et tentent de les appliquer à leur quotidien. L’éco-quartier qu’ils ont choisi pour leur maison, De feuilles en aiguilles, est d’ailleurs un bel exemple du virage qui est train de s’effectuer. Les gens qui ont démarré le projet, en 2009, ont d’abord formé une coopérative dans le but de bâtir un quartier à vocation écologique. La forme du projet a bien changée depuis, mais la mission première reste la même ; « Faire en sorte que l’éco-quartier soit et demeure un lieu où il fait bon vivre. » peut-on lire sur leur site.

D’ailleurs, Benoit le ressent clairement parmi ses voisins. « On a tous les mêmes convictions, on est tous orientés vers un but commun, c’est-à-dire l’écologie. Préserver notre milieu naturel, notre milieu de vie, donc avoir un endroit qui n’est pas pollué, où on peut profiter de la nature, de la vie sauvage, préserver l’habitat des animaux. C’est ça qui nous rassemble aussi, c’est ça qui fait qu’on a envie d’être ensemble. […] C’est du bon voisinage. Je m’entends bien avec mon voisin. Si j’ai un service à demander, je vais cogner à sa porte et il va accepter de bon gré, et quand il va avoir quelque chose à me demander, je vais l’aider. C’est quelque chose qu’on ne retrouve pas parfois dans les villes. Parce qu’on se retrouve avec tellement de voisins, tellement de gens différents, ça change la dynamique un peu. » confiait Benoit à Pierre Blackburn.

Une communauté se développe jour après jour autour des solutions qui émergent partout dans le monde. Des gens qui ont ce même sentiment d’urgence face à la situation environnementale et qui agissent pour changer les choses, partagent l’information et se soutiennent les uns les autres, au lieu de se compétitionner. On est complètement à l’opposé du syndrome du voisin gonflable et de la mentalité capitaliste, et je crois que c’est justement la clé du succès. Comme Albert Einstein l’a si bien dit, on ne résout pas un problème avec les modes de pensées qui l’ont engendré ! « Le réseau de contacts est maintenant tellement développé que si tu entres dedans, il y a plein de gens qui vont pouvoir t’aider, soit te donner de l’information ou même te donner un coup de main. Quand on parlait d’alternatives, de changer de mode de vie, de façon de penser où tout doit être rémunéré tout le temps… ! » ajoute Benoit, visiblement fier de participer à ce réseau.

L’esprit derrière la diffusion des solutions et la démocratisation de modes de vie alternatifs est donc la pierre angulaire qui fera que le changement aura un impact significatif ou pas. Et pour l’ampleur des problèmes environnementaux que nous connaissons, il faut un changement significatif. Je suis non seulement heureuse, mais rassurée, de voir que de plus en plus de gens délaissent l’ancienne manière de pensée qu’on entendait trop souvent. Vous savez, les phrases du genre « Penses-tu vraiment que tes papiers au recyclage vont changer quelque chose ? Penses-tu vraiment que de ne plus acheter de viande va faire tomber l’industrie de l’élevage ? Penses-tu vraiment que d’arrêter l’eau pendant que tu te brosses les dents va faire un changement dans le monde ? Etc. » Mes papiers, ma viande non achetée et mon eau non gaspillée ne changent peut-être pas grand chose, mais lorsqu’on est 500, 15 000 ou 2 millions à faire ces gestes et plus encore, là, l’impact est majeur et réellement significatif ! J’ai l’impression qu’on entend moins ce genre de phrases négatives et réductrices en 2016. Peut-être que je me trompe, peut-être est-ce simplement parce que je me suis entourée de gens qui partagent mes convictions, mais le fait est qu’il est de plus en plus facile de trouver ces gens !

J’admire Benoit et sa conjointe en ce sens qu’ils ne se sont pas laissés abattre par les embûches et le fait qu’ils sont peu (n’oublions pas Hélène et son conjoint à Chertsey et quelques autres plus récemment) à se démener aussi activement, concrètement, pour ce type de maison au Québec. Bien que ce soit souvent Benoit qu’on voit dans les médias, il a insisté sur le fait que le projet était un véritable travail d’équipe. À commencer par la femme de sa vie, Isabelle, qui a d’abord cru en son conjoint et en son idée. Elle l’a soutenu tant dans les choix à faire que dans leurs rôles de parents et l’a encouragé dans les moments de doutes. Les bénévoles ont également joué un rôle majeur dans la réalisation du projet. Sans eux, le projet aurait mis une éternité à se réaliser, sans compter leur apport au niveau des connaissances et des expériences.

« J’ai habité en ville 7 ans avec ma famille. On aime la ville pour certaines choses, mais avec le temps, on a tous envie de reprendre le contact avec la nature. Souvent on le fait pour un week-end, on le fait pour une semaine, on le fait parce qu’on s’en va en randonnée. Nous a décidé d’en faire un mode de vie. On a envie de reprendre contact avec l’environnement, avec la nature, de la respecter. D’arrêter d’imposer nos limites à la nature, mais de vivre en harmonie avec elle. […] On le fait parce qu’on croit que c’est la bonne chose à faire. »

Les traces du pionnier

Le but de Benoit n’est pas uniquement d’avoir son Earthship, mais de faire en sorte que vous et moi, nous puissions en avoir un également, sans avoir à fournir les mêmes efforts colossaux. Démocratiser la solution, voilà une belle motivation ! « La caisse populaire a accepté de nous faire une hypothèque. On est aussi assuré. Ça crée un précédent pour tous les autres qui voudront se construire, on n’est plus limité à un moyen financier restreint, à être obligé de fournir tout l’argent de sa poche. »

De plus, son Ebook est une véritable mine d’or pour quiconque envisage la construction d’une maison de pneus au Québec! Et même si j’ai mis l’accent sur Benoit, et un peu sur Hélène de l’Es-Cargo et Solution ERA qui les invite tous deux à titre d’experts dans son Certificat en bâtiment écologique, sachez qu’il existe de plus en plus de projets en lien avec les maisons résilientes. Je pense notamment à Un pneu à la fois et Québécoloco. Je vous encourage d’ailleurs à pousser vos recherches encore plus loin que ces quelques noms, car je suis convaincue qu’au fil des années, ils deviendront de plus en plus nombreux ! L’objectif final est que les maisons résilientes se taillent une place dans la construction au Québec et même, qu’elles deviennent la norme !

Et si c’était à refaire ?

L’équipe de Valhalla lui a aussi demandé, si c’était à refaire, ferait-il les choses autrement? « Ce que je ferais différemment? Hm… Tu peux toujours faire les choses différemment, mais ça revient à un choix, je crois. […] En ce moment, mes choix sont faits. Ici au Québec ça ne fait que commencer, ça va prendre de l’ampleur. Plus les gens vont essayer de se construire, plus les gens en parleront, plus il y aura de la demande et plus il y aura de maison de ce genre qui se construiront. »

Laisser tomber ses excuses

Benoit Deschamps n’est pas un surhomme. Il n’est pas non plus expert en construction, il est en fait technicien en télécommunications et père de deux jeunes enfants. Il n’est pas si différent de vous en fait. Sa plus grande différence est peut-être qu’il est un autodidacte fan du do it yourself et surtout, un homme convaincu qu’il peut créer un impact positif dans ce monde.

« Don’t wait for it, do it, do it now, experiment ! » disait-il en entrevue avec Valhalla. « You don’t have any excuses ! »

Donc si vous aussi rêvez d’un monde meilleur tant pour la planète que pour ses habitants, qu’attendez-vous ? Partagez l’information et continuez de creuser, vous êtes sur la bonne voie !