Dans une ferme aquaponique, on cultive des légumes et on élève des poissons avec la même eau. Pour mettre en place ce circuit vertueux qui utilise la symbiose entre les êtres vivants, Étienne a autoconstruit un système d’aquaponie à l’intérieur d’une serre solaire. Située à Ham-Nord au Québec, les poissons d’élevage ainsi que les plantes s’épanouissent et la nourriture abonde!

Une ferme aquaponique qui nourrit toute une communauté

Frédéric Wiper est partie à la rencontre d’Étienne Lévesque, ancien étudiant chez Solution ERA. Étienne a appliqué les principes de construction de la formation Certificat en Design de Bâtiment Écologique pour créer une ferme aquaponique solaire. Situés à la cité écologique de Ham-Nord, les bassins d’aquaponie fournissent en poissons et en salades la communauté de plus de 80 personnes tout au long de l’année.

Cultiver des légumes et élever des poissons même pendant l’hiver québécois, c’est possible! La serre d’Étienne produit de la salade et du poisson d’une incroyable qualité 12 mois par année. Elle a permis à la communauté de réduire son empreinte écologique au niveau du transport de la nourriture.

La participation de la communauté a aidé Étienne à mettre sur pied ce projet épique! L’aide précieuse des résidents lui a permis de bâtir sa ferme aquaponique en autoconstruction. Et les entreprises de la communauté ont apporté leur soutien financier.

Le résultat final parle de lui-même. Le bâtiment est à l’image de l’effort collectif : 35 pi x 35 pi (10,7 m x 10,7 m). Autrement dit, c’est une serre qui ne passe pas inaperçue.

Un système aquaponique bâtit à l’intérieur d’une serre solaire passive

La serre aquaponique fonctionne sans aucun chauffage. La plupart des serres conventionnelles utilisent du mazout pour se chauffer. Ici, c’est le design solaire passif du bâtiment qui apporte le plus de chaleur.

Le rayonnement solaire ainsi que la masse thermique des matériaux permettent de produire et de conserver la chaleur même au cœur de l’hiver. Toutes les ouvertures sont orientées vers le sud selon les principes des bâtiments bioclimatiques. De cette façon, la serre profite au maximum de l’apport calorique et lumineux du soleil. Les 3 autres côtés de la serre sont isolés.

Le soleil réchauffe la serre qui emmagasine la chaleur principalement dans l’eau qui circule à l’intérieur des bassins et dans les planches de culture. Et comme nous le rappelle Frédéric : l’eau à l’état liquide est la meilleure masse thermique qui existe!

Quel est le principe qui se cache derrière cette affirmation?

Voici ce qui se passe : en changeant de température, l’eau reste toujours en mouvement. L’eau chaude se dilate et remonte à la surface alors que l’eau froide, plus dense et plus lourde, descend. Grâce à ce mouvement, chaque centimètre cube d’eau fait office de masse thermique.

À l’inverse, un matériau solide ne fera de transfert de chaleur que sur les premiers centimètres qui couvrent sa surface. C’est la raison pour laquelle l’eau absorbe et restitue une plus grande quantité de calories.

La nuit, elle libère progressivement la chaleur et maintient une température suffisante pour que les plantes et les poissons puissent grandir.

Que se passe-t-il l’hiver dans le bâtiment bioclimatique d’Étienne?

La température de l’air ne descend pas en dessous de 8 °C. La température de l’eau, quant à elle, n’est jamais descendue en dessous de 12 °C.

L’isolation de ce bâtiment écologique solaire

La serre est entièrement isolée à l’exception de la face sud. Le tour de la serre est isolé sur 4 pi de hauteur (1,22 m) avec du polystyrène expansé récupéré suite à la restauration des viaducs québécois.

Les plaques de polystyrène expansé ont une épaisseur de 8 po à 10 po (20 à 25 cm). Cette épaisseur leur permet d’atteindre un niveau d’isolation situé entre R 27 et R 30. On se souvient que la valeur R indique la résistance aux transferts de chaleur d’une couche de matériau.

Le sous-sol est également isolé pour éviter que le gel ne rentre dans la serre en passant par la terre. Le sol de la serre a été laissé en terre battue puisqu’elle possède une excellente masse thermique naturelle.

La dernière couche isolante intérieure de la serre est un film thermique réfléchissant. Celui-ci a un double usage :

  • Il ajoute une couche d’isolation d’une valeur R 4.
  • Il reflète les rayons infrarouges pour les conserver à l’intérieur de la serre.

D’autres installations passives permettent de garder la serre au chaud comme le puits canadien, la serre de surchauffe et les radiateurs passifs.


Le puits canadien pour chauffer la serre avec la géothermie


Pour fabriquer son puits canadien, Étienne a fait passer un long tuyau de 150 pi de long (46 m) dans le sol. Une sortie à l’extérieur du bâtiment laisse entrer l’air dans le tuyau. À mesure qu’elle progresse dans le tuyau, l’air va prendre la même température que le sol.

En hiver, l’air arrive dans la serre à une température de 8 °C et elle est directement injectée entre les 2 toiles qui recouvrent la serre. En effet, la serre a été montée à partir d’une structure de serre conventionnelle. La toile est constituée de 2 films de polyéthylène entre lesquels de l’air est injecté pour faire office d’isolant.
La serre de surchauffe pour capter l’énergie solaire
La serre de surchauffe est un espace fermé situé en haut de la serre. C’est en quelque sorte une mini-serre à l’intérieur de la serre principale. Elle sert à emprisonner la chaleur fournie par l’énergie solaire, mais aussi celle qui remonte continuellement vers le haut du bâtiment.

Ce système très ingénieux requiert peu de matériel. Une planche en bois sert de base et un plastique transparent l’entoure. Un tuyau en PVC placé à l’intérieur de la serre de surchauffe permet de récupérer la chaleur pour réchauffer le sol.

Comment?

À l’aide d’un ventilateur, l’air chaud est poussé à l’intérieur du tuyau en PVC jusqu’à des tuyaux qui parcourent le sous-sol de la serre à la manière d’un plancher chauffant. Ces tuyaux serpentent à 6 po (15 cm) sous la surface du sol pour le maintenir chaud.

Les radiateurs passifs à forte masse thermique

De nombreux barils remplis d’eau servent de masse thermique. Aménagés avec de simples planches de bois sur le dessus, ils servent de plans de travail à différents endroits de la serre. Aussi simple qu’efficace pour un investissement minime!

Le fonctionnement des bassins d’aquaponie pour élever les poissons

Dans un système aquaponique, l’eau circule en circuit fermé. C’est un procédé qui utilise environ 90 % moins d’eau que les autres techniques de culture de plantes et d’élevage de poissons.

Le cycle de l’azote à l’intérieur du circuit


Le système repose sur la transformation des excrétions des poissons présents dans l’eau par des bactéries. Une fois qu’ils sont transformés en nutriments pour les plantes, l’eau est acheminée jusqu’à des tables de culture. Les racines se nourrissent de cet engrais naturel et purifient ainsi l’eau qui retourne ensuite vers les bassins à poissons.

Ce cycle vertueux nécessite donc l’intervention de plusieurs êtres vivants qui fonctionnent en symbiose :

  • Des poissons
  • Des bactéries
  • Des plantes

À l’état d’excréments, les éléments organiques ne sont pas encore disponibles pour les plantes. Des biofiltres contenant des bactéries s’occupent du processus de transformation de la matière.

Ainsi, l’ammoniac rejeté par les poissons est transformé en nitrites par un certain type de bactérie. Puis, d’autres bactéries transforment le nitrite en nitrate. C’est le nitrate qui est facilement assimilable par les plantes.

Si nous vous parlons du nitrate en particulier, c’est parce que c’est l’un des nutriments les plus importants pour la croissance des végétaux. Cela dit, à l’intérieur de ce système, bien d’autres éléments nutritifs essentiels sont transformés puis absorbés par les plantes.

Les poissons d’élevage

Dans les bassins d’Étienne, on retrouve exclusivement des truites et des dorés. Ils s’acclimatent bien à des températures fraîches, en plus d’avoir très bon goût!

À leur arrivée dans les bassins, les alevins mesurent 1 po (2,5 cm). Après 1 an, ils peuvent peser jusqu’à 2,5 kg. La serre peut accueillir une population d’environ 1 000 truites et 1 000 dorés par année.

Chaque jour, il faut apporter de la nourriture aux poissons. Notez que c’est le seul intrant utilisé dans cette culture. Dans un système hydroponique par exemple, il doit y avoir un apport continu de nutriments et d’engrais. Ici, ce sont les poissons qui remplissent ce rôle.

Les poissons prennent une masse équivalente au volume de nourriture qu’ils absorbent. Autrement dit, pour 1 g de nourriture un poisson prend 1 g de masse. Ce qui fait du poisson d’élevage en aquaponie une source de chair animale plus écologique que la viande. Bien évidemment, cela est valable uniquement lorsque les poissons ont une nourriture et un environnement sains.

La culture de plantes en aquaponie peut se faire de différentes façons. Les plus connues et les plus faciles à mettre en œuvre sont les cultures sur radeaux et sur billes d’argile.

Le fonctionnement des tables de culture dans une ferme aquaponique

Les végétaux poussent sur des tables d’hydroponie qui ne contiennent pas (ou très peu) de terreau. Les racines se développent dans l’eau enrichie avec des nutriments.

La culture de salades occupe la moitié de l’espace. Une partie des bacs de culture sert à la production d’une grande variété d’autres végétaux :

  • Aromates : thym, persil, coriandre…
  • Fruits et légumes : kale, tomate, gingembre, chou, figuier, nectarine…
  • Plantes en phase de test : banane, avocat…
  • Graines de plantes bisannuelles

De nombreuses plantes potagères ou aromatiques possèdent un cycle de croissance de 2 ans. Parmi ces plantes, qu’on appelle les bisannuelles, on retrouve la betterave, le brocoli, le chou, l’anis, l’épinard, l’oignon, le poireau, etc.

Pour la cité écologique de Ham-Nord, produire des graines sur place offre une plus grande autonomie à la communauté. Sans compter que les graines des plantes qui poussent dans la serre sont mieux adaptées aux conditions climatiques de la région.

Au plus fort de la saison, la serre produit plus de 300 salades par mois. Étienne compte bien réussir à doubler sa production de salade à mesure qu’il comprend mieux les interactions entre le fonctionnement de la serre et le microclimat local.

Le système de culture sur raft ou radeau flottant

Les radeaux flottants sont fabriqués à partir de planches de matériaux qui restent à la surface de l’eau. Ces rafts sont percés de trous pour laisser les racines tremper dans l’eau.

Le système de culture sur lit de billes d’argile avec table à marées

Les billes d’argile sont déposées le plus souvent sur une petite couche de terreau pour cultiver des plantes qui s’enracinent plus profondément. L’eau des poissons est déversée directement dans les tables de culture où les bactéries prolifèrent et s’occupent de la transformation des nutriments.

Ces tables sont également pourvues d’un système d’inondation et d’évacuation de l’eau, c’est ce qu’on appelle les marées. Ces marées sont nécessaires pour que les bactéries soient bien oxygénées.

Bon à savoir : dans un système aquaponique, ce sont les légumes feuilles et les légumes verts qui auront la croissance la plus rapide puisqu’ils sont moins gourmands en nutriments.

Avec le temps, de la biodiversité est apparue dans la serre d’Étienne. Quand Frédéric a exploré les bassins et les bacs de culture, il y a découvert des colimaçons (petits escargots) et des patineurs (insectes de la famille des gerris), des vers de terre, etc. Le développement de la biodiversité est toujours une excellente nouvelle, car elle améliore la résilience d’un système.

Pour ajouter encore plus de biodiversité, Étienne abrite sous sa serre une colonie d’abeilles qui pollinise les plantes. Il participe ainsi à équilibrer son système pour le rendre encore plus résilient.

La serre d’Étienne est un bel exemple que l’aquaponie au Québec est un projet écologique et durable qui offre une solution vers plus d’autonomie alimentaire.

Consultez la fiche technique (dimensions, isolation, etc.) ici : Fiche technique